Omar Ibrahim

(cliquez ici pourvoir quelques-unes de ses œuvres)

Damas-Beyrouth-Paris : la quête artistique d’Omar Ibrahim

par Florence Massena

© Omar Ibrahim

A 37 ans, Omar Ibrahim possède à son actif 15 ans de carrière professionnelle, même si la passion pour l’art plastique, peinture et sculpture l’anime depuis son enfance. Venu vivre à Beyrouth en 2012, il s’est depuis installé à Paris, où il a exposé en solo pour la première fois fin janvier une série intitulée « De Beyrouth à Paris, à la recherche de Damas », soit une sélection des œuvres ayant marqué la période 2011-2015, déterminante aux niveaux personnel mais aussi professionnel.

« Quand j’étais petit, je dessinais au lieu de faire mes devoirs, s’amuse Omar Ibrahim. Mais quand tu grandis dans une famille pauvre, tes parents s’inquiètent beaucoup pour ton avenir. Pour moi, l’art est quelque chose qui te porte au-delà de l’argent. C’est un style de vie, tu grandis avec, tu te vois au travers, tu guéris tes blessures avec, et au final tu en apprends beaucoup sur qui tu es vraiment et ce que nous faisons dans ce monde. » La guerre, et la nécessité de pouvoir créer dans de bonnes conditions, l’ont mené de Damas à Beyrouth, où il a rencontré Alexandre Pikiakos, entrepreneur et passionné d’art. Un an plus tard, du 22 au 25 janvier, l’artiste a pu exposer, chez son ami, son travail « De Beyrouth à Paris, à la recherche de Damas », une sorte d’extrait de journal intime de tous ses ressentis lors de ses pérégrinations forcées, du premier jour de la Révolution à son installation en France.

Une quête de paix et de tranquillité

« Ce titre est la question basique de ma vie, celle de trouver un foyer que j’ai perdu il y a longtemps, explique le peintre. Ce n’est pas forcément à propos de la famille ou du pays. Au-delà du concept d’appartenance, il s’agit du sentiment profond d’atteinte de la paix et de la tranquillité, loin des soucis de la vie de tous les jours. » En filigrane, on devine des drames et des questionnements liés à la situation syrienne : « Dans mon pays, on dit que “le pauvre est étranger dans son propre pays” : pour moi c’était le cas. En plus de ces quatre années de Révolution en Syrie, nous sommes nombreux à avoir dû commencer à chercher un foyer, au travers du rêve du changement, de la liberté et de la démocratie. » Après deux ans et demi loin de son pays, sa famille et son fils unique, à Beyrouth, puis depuis fin novembre à Paris, il estime « chercher encore avec passion et nostalgie le foyer, Damas, la ville qui porte nos rêves de vie agréable, les détails de la vie quotidienne que nous portons toujours sous notre peau, et entre les lignes et les couleurs de nos peintures. »

Songeur, Omar Ibrahim souhaite emporter le public de ses œuvres au-delà de leur univers : « La vie est courte, j’essaie de construire des ponts vers les autres au lieu de murs, et les autres peuvent agir de même. Chacun peut mener sa vie plus loin que l’injustice, le terrorisme, le meurtre et l’égoïsme destructeur, la rendre meilleure. Si on me considère rêveur, pourront-ils rêver avec moi et faire de ce rêve la première pierre vers un monde meilleur que celui dans lequel nous vivons ? »

Aller de l’avant

Optimiste malgré un parcours chaotique, l’artiste estime que ces voyages sont une manière pour lui de « découvrir et d’apprendre », ainsi que de créer une nouvelle atmosphère propice au développement de son propre projet, « dont j’ai rêvé la plus grande partie de ma vie mais que je n’ai pas encore atteint ». Avec l’espoir, toujours, de trouver une paix quelconque avec un nouveau foyer. « Je n’ai pas encore trouvé Damas, mais des morceaux, et je cherche le reste, ou plutôt j’essaie toujours de le créer, donc j’ai encore beaucoup à peindre, penser, et vivre ! »

Pour son avenir professionnel, il reste prudent : « J’attends de voir ce que va m’apporter cette exposition, et je peins toujours pour produire un nouveau travail. Je me prépare également pour des coopérations avec d’autres artistes, en particulier des musiciens, car je souhaiterais partager une expérience entre la peinture et la musique. On verra quand nous serons prêts. »

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‘Falling Dreams’ de Omar Ibrahim
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Omar Ibrahim, une recherche picturale personnelle qui vise au partage (08/05/14)

Falling Dreams’, ceci est la première exposition individuelle d’Omar Ibrahim à Beyrouth. Dans le cadre de cette exposition, l’artiste peintre et sculpteur présente un travail qui repose sur les trois années de crise syrienne qui emportent les rêves et les espoirs, mais pas seulement. Car selon lui, le conflit actuel ne représente pas seulement les enjeux du pays, il s’agit d’une réflexion à long terme.

La figure du cheval est le principal thème décliné, mais cette exposition montre surtout une expérience de vie de plusieurs années, faite de nombreux voyages, une volonté de compréhension de soi, du monde, le moyen de se guérir de la peine et de la souffrance. Une exposition qui pose des questions, interroge sur le sens de la créativité artistique. Pour l’artiste, il s’agit de trouver du sens, d’inviter les gens à ouvrir des portes, à créer le trouble en eux-mêmes. Un artiste qui considère le public comme partenaire à part entière du processus de création.

Comment commence votre histoire avec l’art ? Parlez-nous de votre parcours.
Cela a toujours été un rêve d’enfant. Lorsque l’on pense à ce que l’on aimerait faire quand on sera grand, qu’il faille prendre des décisions au sein d’une société où les métiers valorisés sont soit architecte ou médecin, l’envie de passer ma vie à peindre apparaissait comme une évidence. Lorsque l’on est issu d’un milieu modeste comme le mien, le métier d’artiste n’est pas vraiment valorisé par les parents, la famille ou la communauté, qui redoutent une carrière vouée à l’échec. Votre entourage tente de vous faire changer d’avis et les conflits commencent. C’est à force de détermination que je parviens à entrer à l’université des Beaux-Arts de Damas, où j’étudie durant quatre années. Je me consacre ensuite à la sculpture et à la peinture jusqu’en 2006, où je m’envole pour Tokyo.

Votre carrière et les aléas de la vie vous font voyager et travailler dans de nombreux domaines. Que retirez-vous de ces expériences ?

A Tokyo, je me retrouve en manque d’espace et d’outils pour continuer mon travail en sculpture, je me dédie donc pleinement à la peinture. A mon retour, je reste sur la même lancée. Je suis originaire de Suweyda, puis à partir de 2011 au moment où la situation en Syrie devient critique, je voyage entre la Syrie, l’Arabie Saoudite, Dubaï pour finalement m’établir à Beyrouth. A ce moment-là, parallèlement à mes projets personnels en peinture et sculpture, je travaille en tant que designer graphique et designer d’intérieur, j’enseigne l’art, pratique la calligraphie arabe… De plus, suite à la crise en Syrie, il était très difficile de continuer à travailler dans de bonnes conditions, jusqu’alors je pouvais vivre de mes peintures ce qui rapidement n’a plus été le cas.

Quelle est la nature de votre travail dans le domaine de la peinture ?
Peindre, c’est quelque chose que l’on fait, qui est évident, avec ses pensées, ses sentiments. Peindre c’est dire quelque chose, quelque chose qui doit sortir de soi, absolument. C’est finalement un moyen d’expression, un moyen qui permet de sortir cette énergie de l’intérieur et surtout de la partager. Peindre c’est aussi traiter d’un sujet. Cependant, le sujet en lui-même n’est pas aussi important que les lignes, les couleurs, la disposition des éléments, en d’autres termes la forme de composition de l’œuvre. C’est à ce moment que l’on se découvre soi-même, que l’on découvre le monde qui nous entoure. C’est une sorte de lecture de soi. Après réalisation, et avec honnêteté, on découvre ce qui l’en est. Il n’est pas question alors de faire dire à la peinture quelque chose qu’elle n’exprime pas. A la fin du processus, on commence à voir plus clair, à mieux distinguer les choses; la peinture agit alors comme un miroir des expériences de vie, du vécu, des sentiments, mais avec la particularité d’apporter un reflet fidèle. Il n’y a pas de logique là-dedans, la logique intervient peut-être à la fin, lorsqu’il s’agit de donner une forme finale.

La figure du cheval est un élément récurent dans votre travail. Pourquoi ?
Ce cheval montre tout d’abord qui je suis, mon entourage. Ce cheval est celui que l’on trouve dans la nature, sauvage, non domestiqué par l’homme, libre, au corps souple, équilibré, qui porte en lui cette idée de liberté. Cela fait plusieurs années que je travaille cette figure, bien avant la crise syrienne. Peu à peu, cette figure a commencé à prendre d’autres postures, à chuter, en gardant cependant un certain port de tête, une allure, montrant ainsi sa capacité de résistance. Puis, ce cheval qui nous représente tous, a commencé à souffrir, ses muscles se sont atrophiés laissant paraitre du sang. Tous ses rêves de liberté, d’épanouissement, disparaissent dans sa chute. Son corps est alors crispé, serré, pour différentes raisons : sa communauté, son héritage, son parcours, ses idées non formulées ; mais il se bat pour rester en vie.

Une place importante est donnée aux détails et aux motifs dans votre œuvre. Que représentent-ils ?
Tous ces motifs et ces détails minutieux, j’en ai besoin pour différentes raisons. Ils représentent tout d’abord le sens de l’effort, du temps, de la réflexion. Une peinture n’est pas le résultat du hasard ou de la coïncidence. Ces motifs me rappellent également qu’il y a encore quelque chose de caché en moi que je dois exprimer. Parfois, je ne trouve pas de réponses en ce qui concerne l’utilisation de ces motifs, de ces détails. Je sais qu’ils proviennent de mon expérience japonaise. Avant cela, j’avais une pratique plus européenne dans la manière de traiter formes et couleurs, notamment sur les questions d’espace. Au Japon, j’ai découvert cette manière de traiter le détail, la profondeur qu’il révèle, et surtout le contrôle qu’il demande. J’ai intégré cela dans mon travail à partir de 2006. J’ai réalisé alors que le détail exprimait plusieurs niveaux de conscience. En peinture, l’espace représente pour moi un élément au même titre que les autres figures. Ces motifs remplacent parfois un vide, remplissent un espace, posent une question dont la réponse reste encore inconnue, dissimulée, et apparaitra dans la peinture suivante.

Qu’attendez-vous de cette première exposition ?
L’exposition, en plus d’être le moyen pour un artiste de présenter son travail, de gagner sa vie ou de s’interroger sur lui-même, est surtout un moyen de partage, un moyen de créer du lien avec les autres, de les atteindre. Je présente ici le résultat de 18 mois de travail, une aventure. C’est pour moi la possibilité de me redécouvrir, de prendre de la distance, de m’améliorer. L’étape d’un long voyage.

Propos recueillis par Célia Hassani