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Hélène Taquet a exposé au NEUF du 9 septembre au 2 octobre 2016.
Hélène Taquet est graphiste indépendante et plasticienne. Née en 1977, elle vit et travaille à Bruxelles. Son univers, qu’il soit graphique ou plastique parle le langage de l’imaginaire et de la suggestion subtile. Les « structures dissipatives » qu’elle présente pour cette exposition furent créées en tissant du fil de métal comme des bulles dans le réel.
Structures dissipatives
In nova fert animus mutatas dicere formas corpora, “mon esprit m’incite à chanter les formes de corps qui se transforment en nouveaux corps”: ainsi commencent les Métamorphoses d’Ovide, montrant à l’art sa destination démiurgique propre, à la fois poétique et pratique, opératrice et transformatrice. Recréation du monde, l’entreprise démiurgique que met en œuvre l’imagination de l’artiste ne peut, selon Ovide, avoir cours sans le secours de la divinité, c’est-à-dire de la nature, dont la puissance a produit le monde et l’a conduit du Chaos au Cosmos, de l’informe aux formes. L’artiste re-crée chaque fois le monde en le trans-formant, en le trans-figurant par un geste qui est en même temps con-formant et dé-formant, structurant et déstructurant, dans cette interminable fluctuation entre ordre et dés-ordre qui est le moteur même de la réalité naturelle. Fluctuation productrice, proliférante, la thermodynamique contemporaine nous l’a enseigné dans l’erre du clinamen d’Epicure et de Lucrèce, une fluctuation morpho-génétique, engendrant des formes toujours exposées à l’informe, qui s’engendrent à partir de l’informe et de l’informe se nourrissent, jusqu’à ce qu’elles retournent à l’informe. Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977 pour ses travaux sur la thermodynamique des systèmes complexes, les a appelées « structures dissipatives » afin de souligner, dès leur nom, l’association paradoxale mais réelle d’ordre et de désordre dans ces structures naturelles qui, contrairement aux cristaux, se présentent comme des structures s’organisant elles-mêmes au niveau local dans des conditions éloignées de l’équilibre. Toutes les structures dissipatives – l’homme y compris – portent inscrites en elles-mêmes la situation globale de dés-équilibre qui les a engendrées.
Hélène Taquet nous montre un parcours artistique qui a la saveur d’une expérimentation menée à partir de ce que nous nous risquerons à définir comme « thermodynamique onirique ». Plutôt qu’à l’univers du rêve, Hélène Taquet semble donner forme à celui, voisin mais logiquement distinct, de la rêverie. L’espace animé des sculptures est un espace passé par le rêve, trans-rêvé, rêvé les yeux ouverts, auquel on n’a accès ni éveillé ni endormi. Tout ici a la force inertielle et vertigineuse de l’hallucination: toute frontière établie entre forme et informe, entre animé et mécanique, entre vrai et rêvasserie, est pour un temps, annulée. L’imagination productrice de l’artiste reconduit ici la physis à son signifié originaire de puissance rhizomatique et proliférante, propre au monde végétal, à celui des racines pivotantes, à ramification réticulaire. Gilles Deleuze écrivait que « c’est l’imagination qui traverse les domaines, les ordres et les niveaux, abattant les cloisons, coextensive au monde, guidant notre corps et inspirant notre âme, appréhendant l’unité de la nature et de l’esprit, conscience larvaire allant sans cesse de la science au rêve et inversement ».
Nunzio Allocca (Traduit de l’italien par Philippe Hunt)