Cristina Rodrigues

(Visionnez ici quelques-unes de ses œuvres)

Cristina Rodrigues est née au Brésil, de mère italienne, et a vécu au Japon, au Portugal, au Mozambique, au Liban et en Inde, pour finalement venir s’installer en Belgique. Après des études d’architecture d’intérieur, elle se dédie à l’architecture de la mode pendant quinze ans, pour finalement aboutir à la pratique du Shiatsu qui relie le mental au corps physique ou l’inverse. Ensuite, la peinture est arrivée comme une évidence, alliant recherche de la matière et équilibre des couleurs dans l’abstraction. La vie étant faite de hasards et de rendez-vous, elle rencontre certains artistes qui l’initient au modèle vivant. Car pour déstructurer l’image, il fallait apprendre la patience et l’observation. Depuis, elle travaille à ne conserver que l’essentiel. Palettes, spatules, rouleaux, écorces d’arbres et doigts font partie de ses outils préférés. Elle associe des matières telles que acrylique, encre de chine, écoline, sable, plâtre, caséine, pastels secs ou gras, eau et cire.

Construire une image imaginaire, la déconstruire…

Ressenti, intuition, liberté de mouvement.

Chaque geste est porteur d’un regard qui cherche l’équilibre, la proportion, la lumière et tend vers l’abstraction de l’image. C’est de cette manière que l’image se construit selon le ressenti de chacun.

https://cristinarodrigues.eu/


LES DÉ-TACHEMENTS DE CRISTINA RODRIGUESL’artiste s’entoure de quelques outils : palettes, pinceaux, spatules, écorces d’arbres et même doigts, ses doigts qui étaleront tantôt les pastels gras, mais surtout elle amasse des matières – au pluriel – : acrylique, encre de chine, écoline (une encre aquarelle qui permet des aplats brillants), granules de sable, pâte blanche faite de poudre mélangée à l’eau comme du plâtre, caséine tirée du lait, pastels secs et pastels gras qui les fixent, eau qui pourra même être passée sur leurs trames, cire enfin qui recouvrira les couches accumulées, poncées et grattées sur la toile ou le papier – ou détachées après leur séchage … On comprend que ces matières sont pour elles essentielles, qu’elles brouillent la différence entre instruments et matériaux.Cristina Rodrigues dit s’inspirer de l’écriture automatique, elle pratique en somme la matérialisation automatique. Cela signifie qu’elle s’abandonne aux hasards des matières. Jean Dubuffet, dans la série de ses Matériologies, avait naguère exploré cette voie de sortie de la dualité de la ligne et de la couleur, mais, happé par les hasards aventureux de ces abandons matériels, il les avait brusquement interrompus sous la menace de sa propre disparition (ce qui lui avait néanmoins donné la ressource des inventions de l’Hourloupe). Cristina Rodrigues n’a pas ressenti cette contrainte, aidée sans doute par ses approches des cultures non occidentales, de l’Afrique noire au Japon, où l’expression subjective n’est pas une tentation. Ce renoncement lui laisse toute liberté de laisser apparaître les traces entassées, travaillées, creusées, coupées ou cisaillées, sans crainte que les figures surgies ne perdent leur indécision – quelles que soient les projections des futurs spectateurs qui décèleront l’une ou l’autre représentation. Les imprégnations aux couleurs dominantes restent à motifs incertains : aucun titre n’est d’ailleurs donné à ces tableaux. Même les bords ne sont pas fixés, les cadres sont le plus souvent absents et quand ils sont parfois apposés, ils prolongent les couleurs des matières et s’intègrent au tableau… Le bonheur du travail inlassable des matières jusqu’aux profondeurs des couleurs provient de ces dé-tachements incessants de l’artiste qui, si à notre tour nous osons nous y abandonner, provoquent nos propres at-tachements.Eric Clémens


Cristina Rodrigues (1956) italo- brésilienne d’origine, pratique le Shiatsu, elle fut marquée par les aléas liés aux déplacements géographiques et aux déracinements sociaux  vécus dans ses plus jeunes années. 

Elle nous dit que cette discipline, a pour but de garder ou de retrouver un « équilibre sur les plans physique, émotionnel et psychique par un travail de rétablissement de la circulation énergétique à l’aide de pressions par les pouces et par une relation d’aide ».

Elle dit de sa peinture qu’elle a un caractère « automatique », autrement dit qu’elle correspond à une maîtrise de la rhétorique du corps, en même temps que des affects qui y sont attachés 

L’on comprend, en fait, que cette « maîtrise » n’est rien moins qu’un abandon ou  un laisser-faire, conscients. Abandon du geste, lequel se trouve être actionné par une pulsion. Pulsion et geste sont mobilisés par des images qui se télescopent,  se suivent aléatoirement et que l’inconscient mystérieusement,  prend  soin de trier.  

Cristina Rodrigues évoque « l’errance, la trace, la disparition, le temps qui passe ». 

La peinture, pour Cristina Rodrigues, constitue un moyen d’expression et de connaissance des formes inconscientes de sa  propre pensée. L’exécution automatique  va ainsi déboucher  sur  la lecture d’une matérialité picturale, signes ou taches, au sens du motif tracé. Elle le dit elle-même : « Ce qui importe, c’est ce que dit le tableau d’abord ». Pour l’artiste, à l’instant même de l’action, «  l’expérience en elle-même se veut neutre», dit-elle.

Dans sa pratique, l’artiste amorce ses gestes en répandant du café liquide, en guise de fond, sur un support de papier épais. Le mélange avec l’acrylique engendre une émulsion qu’elle baigne ensuite d’eau ; le tout, après séchage se trouve articulé ou « travaillé » à la main, au rouleau, à l’aide de palettes métalliques  ou d’un simple morceau d’écorce. Ajouts et/ou soustractions de medium s’effectuent selon des mouvements rapides et spontanés, sans le recours aux pinceaux et sans repentir. 

Apparaît alors au regard une base dominante marron conjuguée à des  déclinaisons de bleu Outremer et Terre d’Ombre. Une abstraction, certes.

Cristina Rodrigues s’est affranchie des contraintes de la  représentation au profit d’un marquage de traces silencieuses ; leur syntaxe ne connaît que clairs, obscurs et luminescences qu’il appartient à l’œil d’apprivoiser. 

Michel Van Lierde          Août 2022