Christine Le Fort

(Cliquez ici pour visionner quelques-unes de ses œuvres)

Christine et toutes ses vies

Ma sœur est folle.

Depuis toujours c’est l’impression qu’elle me donne, même si ça ne veut rien dire du tout (qui suis-je pour dire qu’elle est plus folle que moi ?). Mais sa force créative est redoutable, sa boulimie affolante, et quand elle se lance dans une entreprise quelle qu’elle soit, difficile d’en imaginer la fin. Ma sœur a plusieurs vies et elle n’a pas fini de les épuiser.

Le jour où elle a commencé à peindre, j’ai failli rire. Qu’est-ce qu’elle inventait encore ? De quoi venait-elle se mêler alors qu’elle avait jeté son dévolu depuis longtemps sur l’activité artistique qui l’avait si longtemps empêchée de sombrer ou de mourir tout à fait : la danse ?

Les vies de ma sœur n’ont rien de linéaire et si la danse l’a sauvée tant de fois des gouffres dans lesquels elle aurait pu tomber, elle lui a aussi fait perdre de belles plumes, à se demander si elle arriverait à s’en remettre. Le jour où elle s’est mise à peindre, donc, je me suis demandé ce que ça allait donner et, soyons franc, je craignais le pire. Je ne voyais pas comment ni avec quoi elle allait remplir ces espaces vierges d’autant plus qu’elle les avait choisis grands : plus fresque que miniature ; je ne voyais pas ce qu’elle allait trouver à raconter qui soit compréhensible, ou touchant, ou simplement intéressant.

Pourtant dès la première minute elle n’a pas hésité : elle a occupé l’espace de la toile avec un aplomb étonnant, et si le résultat avait quelque chose de trop décoratif peut-être, une chose était claire : elle n’avait pas peur et s’était approprié l’outil. Après avoir rempli un nombre incalculable de mètres carrés, avec grands gestes du bras et palette de carreleur, elle a tout arrêté d’un coup. Comme elle avait arrêté l’alcool un jour d’août 1997 sans l’aide de personne, après des dizaines d’années d’addiction aussi affolante qu’assumée. Hop, du jour au lendemain. L’exploration était achevée. On passait à autre chose.

Ici elle est passée aux petits formats, aux découpages, aux collages, elle s’est mise à tester toutes les textures qui lui tombaient sous la main, les objets trouvés sur les poubelles ou ailleurs ; des têtes de bébés sont apparues en relief sur des toiles aux effets drapés, poupées géantes qui réglaient leur compte avec humour à tous les bébés que ma sœur n’avait pas eus. Puis elle s’est mise à recycler les innombrables sachets de thé qui remplaçaient désormais les bacs de Jupiler (moins faciles à coller sur une toile, ceux-là) ; à utiliser comme matériau les centaines de boîtes de médicaments vides qui font partie de sa vie depuis que les crises d’angoisse s’y sont invitées aussi. Recyclages réparateurs. Rien ne se perd et tout se recrée.

Et puis, d’exploration en exploration, la voici maintenant pleine de personnages inattendus, joyeux et colorés, trimbalant leurs chapeaux et leurs paquets de contradictions dans des promenades ou des  conversations de groupes dont on devine la multitude de sujets, allant des élégantes se rendant à un défilé de blondes, aux bandes d’enfants mutins ou colériques.

Toutes les vies de Christine sont rassemblées dans ces quantités de toiles, un tas d’histoires se trament. A nous de les poursuivre, exactement comme bon nous semble.

Ariane Le Fort
Ecrivain


Christine Le Fort : Facebook