Ariane Bosquet

(Cliquez ici pour visionner quelques-unes de ses œuvres)

Une fois sortie de la sidération après le début de la crise sanitaire en mars 2020, Ariane Bosquet s’est retrouvée dans son atelier avec peu de matériel neuf à disposition et les magasins fermés à cause du premier lockdown. Elle a alors entamé un journal de confinement de 60 jours, fait d’une série de petits formats avec tout ce qui lui restait sous la main. Elle est ainsi revenue à ses collages sur papier en noir et blanc. Tout au long de cette difficile année 2020 et jusqu’à ce jour, elle a continué à créer pour nous offrir deux belles séries inspirées des mesures sanitaires du moment.

Masquez-vous!  est une réflexion sur le masque : que nous cache-t-il ? Que nous révèle-t-il dans un visage, une expression?  Et si on se masquait plutôt les yeux et pas la bouche ? Ou seulement une partie verticale d’un visage  ? Quelle serait la différence ? Une série qui fait aussi allusion au masque africain, et à son influence première qui la suit dans tout son travail autour de cette terre plurielle.  Par un détournement de photos transformées et de visages barrés ou scarifiés,  à travers des collages subtils,  elle nous révèle des œuvres fortes et parfois dérangeantes.

Que dire aussi de ces fameuses mesures barrière qui lui font penser à une séparation…. Faits de collages de bouts de papiers et de cartons, ces pans de murs en réduction nous offrent ici une  série de barrières hermétiques et difficiles à franchir, tout en faisant aussi référence à une autre partie de son travail autour de l’exil et de la migration.

Ariane Bosquet


A propos du Journal d’un Confinement d’Ariane Bosquet

Choc, Sidération, Angoisse, Paralysie sont les mots –de sidération- sur lesquels s’ouvre ce «Journal». Il se présente comme une séquence de thèmes ayant scandé ce temps suspendu du 15 mars au 10 mai 2020. Un album dont chaque phase de narration serait une phase d’exorcisme débouchant sur un rituel de combat vécu au quotidien par l’artiste. Chacun de nous s’est retrouvé seul face à lui-même, dépossédé d’un monde qui ne nous appartenait plus. A des degrés divers, nous avons été trompés par ce que nous nous faisions de l’image de notre destin. Cet ensemble atteste du travail de stoïcien qu’Ariane Bosquet a mené huit semaines durant, dans la rigueur, calfeutrée et centrée sur ce qui désormais était devenu son essentiel. Quand tu es forcé par les circonstances à être chamboulé, vite reviens vers toi-même et ne perds pas le rythme plus qu’il ne faut. Car tu maîtriseras d’autant plus l’harmonie que tu y reviendras sans discontinuer écrivait Marc-Aurèle dans ses «Pensées pour moi-même». Trous noirs ou lueurs d’espoir ? Une suite de spirales matiéristes (pierraille, plâtre) dont le vertige du mouvement se conjugue à la lumière vacillante d’une aube incertaine. Cendres… Autant de résidus pulvérulents solidifiés souvent en forme circulaire. Un renvoi à la désolante absurdité de la mort et son inexorable quotidien. Traces…faites de griffures, scarifications, sillons de formats oblongs. Douleur, solitude et languissante durée. Masquez-vous ! nous lance ensuite Ariane Bosquet. Une référence bien connue chez elle aux coutumes et à la tradition vestimentaire malienne. Cependant, elle prend ici une dimension dramatique. Ainsi, des photographies partielles de visages sont barrées de lambeaux de tissus. L’humanité anonyme s’y exprime…Quelques rares couleurs stridentes y hurlent la rage de vivre. Corona, je ne t’aime pas ! Triste et pensive…concède- t-elle, non sans brandir ses propres mesures barrière. Sur les papiers et cartons, le regard devine comme des portes ou des murs en réduction .Le renvoi au thème familier chez Ariane Bosquet des falaises du Bandiagara qui lui sont chères, au flanc desquelles s’agrippent les villages Dogons et leurs célèbres portes, autre objet de référence dans l’album. En clôture d’ouvrage l’artiste révèle ses Disparitions. Avec empathie et sans les nommer, Ariane Bosquet évoque l’effacement de la vie, la funeste distanciation obligée, la conscience assumée d’une vulnérabilité nouvelle, aussi cruelle que soudaine. En gammes de noir, gris et blancs, l’on devine sépultures, stèles ou linceuls. Dans une lueur sépulcrale, leurs contours flous font affleurer le souvenir en demi-teinte de ceux dont les yeux se sont fermés à jamais. L’intégrité et la sobriété extrême du travail d’Ariane Bosquet nous invitent à prendre la mesure des ombres fallacieuses d’une réalité devenue par trop aliénante. L’artiste ouvre la marche d’un parcours sur lequel nos yeux se dessillent. Elle met en lumière des valeurs, socle sur lequel l’Humain -corps et esprit- se campe alors qu’il donne le meilleur de lui-même.

Michel Van Lierde – juillet 2020