Il y a, dans l’œuvre de ces deux artistes, des points de convergence qui nous intéressent pour peu que nous intéresse, dans les arts plastiques, ce mystérieux indicible que l’on reconnait pourtant toujours au premier coup d’œil et qui a tout d’un monde naissant sous nos yeux.
En l’occurrence, je devrais dire ces mondes, puisque, par essence poétique, ils sont en évolution constante.
Et c’est peu dire que Vincent Delpierre en connait la nature. Lui qui cultive les plantes rares et les herbes sauvages, les massifs orgueilleux et les graminées perdues, est l’auteur d’un jardin où l’on se perd en enfant vierge de toute aventure. Sa formation de dessinateur donne à son travail une charpente incisive qui pourrait sembler inattendue parce que l’on croit toujours à l’aspect ingérable de ce qui pousse et envahi nos terres.
Mais la géométrie chez Delpierre n’est pas toujours sous-jacente comme chez tous les abstraits. Elle fait des territoires en question non plus des paysages vus et perçus par l’humain, mais bien habités et transformés par lui. En cartographe, ce peintre coloriste assiste à la fermentation des tourbes, à la structuration des peaux de la peinture et qui, en écho peut-être à une idée Breughélienne, cloisonne, organise et fixe des territorialités.
Coloriste ? C’est rare !
Et voilà le premier point de rencontre avec l’œuvre de Johann Damoiseau. En effet, celui-ci se préoccupe également de la couverture étalée que le vivant imprime. L’artiste est inquiet de relier les formes, les plages d’écriture, les bouillonnements de la surface, les cadences de phases…
Un musicien de jazz me dit un jour : « Le rythme, c’est toujours une cassure de rythmes; la main gauche comme un métronome, la main droite comme un papillon… ». Le caractère émotionnel de celui qui tisse, qui coud ou qui relie, fait remonter à la surface les aléas du territoire. Etant témoin de la respiration de ces géologies dans ses dessins, du bruissement de ces métaux fragiles dans ses sculptures, nous nous étonnons d’y voir déjà passer le vent. Nous devinons des sons, des échanges de souffle. Dans ses dessins à la mine de plomb, maigres ou gras, Damoiseau use de traces ou de coupures, peu importe, ce qui s’installe peu à peu c’est du temps. De la durée et de l’éloignement. Nous voilà émus, prêts à parcourir la distance de ces étendues à la fois immenses et parfaitement intimes.
Dominiq Fournal